Alexandre de Halès

Alexandre de Halès
Alexandre de Halès
    Alexandre de Halès, après avoir enseigné de longues années comme maître séculier à l’Université de Paris, entra sans doute en 1230 déjà âgé, dans l’ordre des Frères mineurs ; il mourut en 1245. Il fut le premier des maîtres franciscains, et son autorité dans l’ordre fut si grande que saint Bonaventure, dans la préface du second livre des Sentences, mentionne qu’il s’est attaché de préférence aux opinions d’Alexandre. L’ouvrage connu sous le nom de Somme d’Alexandre, s’il contient des parties dues à Alexandre lui-même, paraît être beaucoup plus l’œuvre collective de disciples qui se sont attachés à continuer et à développer ses idées et particulièrement des maîtres franciscains qui se sont succédé entre lui et saint Bonaventure, Jean de la Rochelle, Eudes Rigaud et Guillaume de Méliton, si bien qu’elle contient l’état de la pensée franciscaine dans les années qui s’écoulent entre lui et Jean Peckham, de 1235 à 1260 : on y trouve même textuellement des passages de saint Bonaventure ; il est d’ailleurs impossible d’y démêler son œuvre propre.
    La Somme nous fait connaître un moment important de la lutte contre l’avicennisme et la doctrine d’Avicébron. En disant que Dieu ne peut produire qu’un effet unique, une intelligence, par l’intermédiaire duquel se produit la multiplicité des choses, Avicenne attribue à cet intermédiaire un pouvoir plus grand qu’à Dieu lui-même. Cette critique est solidaire de celle qu’elle adresse à Avicébron, qui explique, on l’a vu, la variété des formes par la résistance de plus en plus grande que trouve une forme unique à s’imprimer dans la matière, à mesure que celle-ci devient plus obscure et plus éloignée de Dieu : la raison de la multiplicité dérive alors de la matière. La Somme tient, à l’inverse, à poser que les formes sont en elles-mêmes distinctes les unes des autres ; il y a là un point de doctrine sans lequel s’évanouirait, avec la distinction des êtres en eux-mêmes et par eux-mêmes, toute possibilité d’envisager ce qu’impose la croyance chrétienne, la destinée individuelle de chaque âme. Les raisons que donne la Somme, contre Avicébron, c’est que la matière qui est sans doute divisible, n’est pourtant divisée effectivement que par les formes. Ainsi sont liées étroitement, la toute-puissance d’un Dieu créant sans intermédiaire et l’originalité des êtres, fondée sur cette création même.
    Quant à la connaissance intellectuelle, Alexandre, au contraire de Guillaume d’Auvergne, admet avec les Arabes qu’elle consiste, au moins partiellement, dans l’abstraction qu’une intelligence active a le pouvoir d’opérer sur les images pour que les formes abstraites s’unissent à une intelligence en puissance. Mais il résout le doute d’Aristote autrement que les Arabes : pour lui, non seulement l’intellect actif, mais l’intellect possible est une partie de l’âme : la théorie de l’abstraction ne peut donc porter atteinte à l’individualité. D’ailleurs, il coordonne à cette doctrine deux thèses fort différentes : d’abord de l’intellect possible, il distingue « l’intelligence matérielle qui connaît les espèces à l’aide des images » ; c’est dire que l’âme sensitive devient chez lui une sorte d’intelligence. De plus il admet que la lumière que possède l’intellect actif est reçue en lui d’une illumination de Dieu lui-même ; il superpose donc l’augustinisme à l’aristotélisme.
    Cette position est à peu près la même que celle du franciscain Jean de la Rochelle, né vers 1200, qui fut maître de théologie à Paris vers 1240. Dans sa Summa de anima, où il utilise Avicenne et saint Augustin, il admet bien la théorie avicennienne de la connaissance par abstraction, mais « relativement à la vérité suprême (Dieu) et à ces intelligibles qui dépassent l’entendement humain, c’est Dieu qui est l’intellect agent ».
    Dans la méditation directe du fameux chapitre d’Aristote, la Somme franciscaine s’écarte encore de l’interprétation ordinaire des Arabes : Aristote y disait que, dans l’intellect, il y a quelque chose qui est comme la forme et quelque chose qui est comme la matière. La Somme en déduit qu’il y a matière aussi bien dans les êtres intellectuels que dans les substances corporelles, et elle comprend qu’il a voulu dire que, dans l’intelligence, la matière, c’est l’intellect possible et la forme, l’intellect actif : et, à son avis, tout être spirituel, même l’ange, doit être composé de la même façon, d’une lumière et de ce qui reçoit la lumière : interprétation qui, étendant à tout esprit la distinction observée dans l’âme humaine, montre que la théorie des intelligences n’implique pas nécessairement que toute connaissance se fait par abstraction. Duhem a rattaché, mal à propos, semble-t-il, cette composition hylémorphique des esprits à l’influence d’Avicébron ; comme il le dit lui-même, il n’est rien que la Somme rejette avec plus de force que la thèse d’une matière universelle, qui impliquerait l’unité des êtres : Duhem fait encore remarquer qu’elle rejette formellement l’argument sur lequel Plotin, puis Avicébron, appuyaient l’existence d’une matière spirituelle, à savoir la communauté générique qu’il y a entre les intelligences. Pour elle, chaque esprit a sa matière séparée ; et Alexandre n’admet même pas, avec Avicenne, qu’il y ait une matière commune aux choses célestes et aux choses sublunaires. La composition hylémorphique ne porte donc chez lui aucune atteinte à cette séparation métaphysique des êtres, condition même de la pensée chrétienne, qu’Avicenne et Avicébron venaient mettre en danger.
    Tandis que les maîtres de théologie s’efforçaient de sauver la diversité des créatures contre l’avicennisme envahissant, ils défendaient aussi l’unité de Dieu contre un platonisme qui paraît avoir eu beaucoup d’adeptes au début du XIIIe siècle : selon cette doctrine, Dieu a créé le monde d’après un exemplaire qui est distinct de lui. Cette doctrine se trouve exposée et réfutée chez Guillaume d’Auvergne comme chez Alexandre. Selon Guillaume, si le monde des archétypes est distinct du Créateur, il a fallu qu’il fût lui-même créé, ce qui est impossible sans régression à l’infini ; il n’est donc pas plus différent du Créateur que l’art n’est différent de l’artiste ; il s’ensuit, puisque Dieu est simple, qu’il ne peut y avoir de division entre les idées et que, par exemple, « la terre véritable, considérée selon son concept, c’est le Créateur ». C’est aussi contre ces platoniciens que la Somme écrivait : « La première essence n’a pas besoin de modèle ; elle n’a de modèle autre qu’elle-même. » De ce platonisme est parente une interprétation de l’augustinisme, qui fut condamnée à Paris en 1241 par une assemblée de théologiens présidée par Guillaume d’Auvergne, à laquelle participait Alexandre : « Il y a, disait-on, beaucoup de vérités qui ont été dès l’éternité et qui ne sont pas Dieu lui-même. » Dans toutes ces doctrines franciscaines, le christianisme, dans ses aspirations fondamentales, est donc comme la grille qui permet de choisir, dans la nouvelle philosophie qui inonde l’Occident, les éléments assimilables.

Philosophie du Moyen Age. . 1949.

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